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LE POIDS DE LA DOUBLE CULTURE

Bérénice KOUM est une jeune étudiante à l’ESJ. Elle a auparavant effectué une licence AEI (Administration et Échanges Internationaux) ainsi qu’une année d’études en Chine afin d’apprendre la langue. La jeune femme décide aujourd’hui de mettre l’accent, non pas sur son parcours scolaire riche et atypique, mais sur un aspect beaucoup plus personnel de sa vie.

Elle livre du haut de ses 23 ans un témoignage poignant concernant son enfance et son évolution au sein d’une famille où se mêlent cultures camerounaise et française.

Inutile de parler bien longtemps avec Bérénice pour se rendre compte que derrière cette jeune femme en apparence douce et calme se cache une véritable témérité. Une envie de vaincre l’injustice, de passer outre les intolérances quotidiennes auxquelles peuvent être confrontés les personnes issues de minorités. Bérénice est le fruit de l’union entre une française (du 16e arrondissement de Paris plus précisément) et un camerounais ; de cette union naîtra également un garçon dix ans plus tard. 
Très vite Jean KOUM se retrouve face à une famille conservatrice qui a du mal à accepter ce gendre noir. Les remarques, quoique discrètes, sont fréquentes et déplacées. Il encaisse et fait mine de ne pas comprendre afin de ne pas porter atteinte à la cohésion familiale. Mais il se fait un devoir de sensibiliser sa fille au racisme, de lui expliquer qu’elle sera susceptible d’être traitée différemment en raison de sa couleur de peau, de ses origines. Et il avait raison : la petite Bérénice qui grandit  en France aux côté de son cousin Aymeric du même âge constate rapidement des différences de traitement. Elle se rappelle notamment des déjeuners où elle se retrouvait à avoir une part de pizza de taille nettement inférieure à la sienne, ou encore des Noëls où elle recevait moitié moins d’argent que lui. Cependant c’est beaucoup plus tard que Bérénice mettra des mots sur l’attitude de sa famille qu’elle jugeait jusqu’alors normale. 
La séparation de ses parents à ses 14 ans agit comme une sorte de déclencheur : les masques tombent. Ses grands-parents se montrent très virulent à l’égard de son père, et vont jusqu’à engager des poursuites judiciaires à son encontre pour lui extorquer de l’argent ou encore le faire suivre par un détective privé pour le prendre sur le fait d’une éventuelle tromperie. Ils veulent à tout prix éloigner ce gendre qu’ils estiment ne pas être digne de leur fille. Or, Bérénice est très claire, ses parents entretiennent encore de très bon rapports même après leur séparation et restent même de très bon amis. Ce besoin qu’ont ses grand-parents de s’immiscer dans la vie du couple afin d’aboutir à une séparation « douloureuse, déchirante » lui fait prendre conscience qu’elle évoluait jusqu’alors au sein d’une famille raciste, du côté maternelle tout du moins. Ce constat est dur à encaisser, la toute jeune Bérénice se trouve comme terrassée mais choisit prendre les choses en main. Elle décide, non pas de se lamenter sur son sort, mais de prendre des mesures radicales : éloigner son petit frère de cette atmosphère qu’elle estime toxique, prendre ses distances avec sa famille maternelle, toujours se surpasser pour passer outre les clichés concernant à la fois les noirs et les femmes. 
C’est donc une jeune femme pleine de détermination qui nous livre aujourd’hui ce récit. Une jeune femme que cette épreuve a endurci, une jeune femme consciente du regard que les autres  peuvent avoir sur elle, une jeune femme outrée que des gens très instruits à l’image de ses grand-parents (son grand-père était un diplomate) ne puissent pas avoir le recul nécessaire sur une situation comme le mariage interracial. Elle déplore leur attitude au même titre que celle de parents d’enfants qu’elle a pu côtoyer à l’école privée catholique qu’elle a fréquentée durant ses années collège. Elle se rappelle notamment cette mère Serbe qui lui avait refusé l’accès à son domicile à l’occasion de l’anniversaire de sa fille et ce uniquement à cause de sa couleur de peau. 
Bérénice affirme pourtant n’avoir jamais eu d’altercations directes avec ses grand-parents qui sont en apparence beaucoup plus tolérants avec elle et son frère qu’avec son père. Mais l’idée même d’évoluer au sein d’un cercle familial somme toute hypocrite quant à sa nature raciste la dépasse. Elle a fait le choix de limiter les contacts avec les membres de sa famille maternelle en toute connaissance de cause. Elle insiste bien sur le fait que c’est une décision qu’elle a prise seule, sans être influencée par son père. 
Aujourd’hui encore, il lui arrive de vivre des situations très délicates voire révoltantes. Elle se souvient de son séjour en Chine où elle a très souvent été le centre d’attention et d’attraction d’un lieu public où les gens allaient jusqu’à faire la queue afin de pouvoir être pris en photo avec elle, ou encore de cette femme qui la filme dans l’ascenseur, flash allumé en tenant le téléphone à une distance qui se compte en centimètres, ou pour finir de cette mère la montrant ostensiblement du doigt tout en s’entretenant avec son petit garçon. 
Toutes ces situations cumulées à son vécu poussent la jeune femme à se pencher et se documenter sur la question du racisme et toutes les problématiques qu’elle entraîne. Elle s’y intéresse de très près et met un point d’honneur à ce que son entourage y soit sensibilisé, à ce que les gens ne se permettent pas des remarques déplacées sous prétexte que la plupart du temps c’est accepté, à ce que les minorités ne soient pas considérées comme moins importantes en raison de leur infériorité numérique sur certains territoires. L’histoire de Bérénice nous démontre que les unions interraciales peuvent engendrer des situations beaucoup plus compliquées que les situations idylliques dépeintes dans les films comme Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu par exemple. Elles sont une richesse qui font encore aujourd’hui face à des préjugés persistants et à l’ignorance même venant de ceux qui se proclament instruits.

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